À lui seul, ce roman résume, d'une certaine manière, toute
l'œuvre d'Henri Lopes. On y trouve, en effet, à la fois cet humour truculent qui
lui a valu d'être considéré comme l'un des écrivains africains francophones les
plus intéressants et les plus novateurs en matière d'écriture romanesque, mais
aussi l'essentiel de ses thèmes de prédilection, comme rassemblés dans une sorte
de florilège qui ne manquera pas de ravir ses lecteurs anciens et nouveaux.
Sans être, à proprement parler, un livre de recettes, ce roman
réussit à sa manière, la gageure de prendre le lecteur par la main, pour lui
montrer quelques ficelles de la création romanesque, avec ses joies et ses
tourments. Au moment de l'indépendance, Kimia et Pélagie, deux amies que la
distance ethnique ne peut séparer, malgré la guerre civile de 1959 encore toute
fraîche, rêvent d'obtenir leur baccalauréat et d'aller poursuivre leurs études
en France. Fascinées par Franceschini, sorte de gourou pédagogique qui leur sert
de mentor et qui les façonne intellectuellement, en véritable pygmalion qu'il
est, les deux amies obtiennent le sésame tant recherché et finiront par oublier
leurs petits prétendants du quartier et des week-ends endiablés de la cité
d'ambiance à Poto-Poto et à Bacongo.
L'intrigue multiplie les triangles et mène nos héros de
Brazzaville à Wellesley College, près de Boston aux États-Unis, en passant par
la mythique Sorbonne à Paris. Les couples se font et se défont au gré des
péripéties et des triangles à géométrie variable. Kimia, la narratrice, assouvit
ses rêves d'écriture et entraîne son ancien professeur dans la jet set
des colloques universitaires et des salons du livre. Mais cette épopée
fantastique des premières élites africaines nées des indépendances, connaît
aussi ses tourments et ses moments de deuil. Et le malheur viendra frapper à la
porte de ce grand bonheur collectif, bilan optimiste lopésien de la
post-colonie...
À travers le personnage de la narratrice donc, le lecteur est
invité à pénétrer l'univers mondain (le réel), sur un demi-siècle
d'apprentissage de la liberté avec l'indépendance politique du pays, mais aussi
la transformation du désir de témoigner par l'écriture en un véritable projet
romanesque. À ce titre, on peut gager que de jeunes écrivains en herbe sauront
en tirer profit. C'est, en somme, une œuvre de la maturité transmise en manière
de legs aux nouvelles générations d'écrivains.
Mais, à ce propos, qui est donc Henri Lopes ?
Pour ceux qui connaissent peu l'écrivain, il importe de savoir
qu'il y a eu un premier Lopes, soucieux d'efficacité didactique et qui pensait
se servir de l'écriture pour éduquer les masses. Dans ce premier versant de
l'œuvre, on trouvera notamment un auteur engagé dans l'aventure politique du
pays pour transformer les structures mentales de l'homme congolais. Avec
Tribaliques, il obtient, en 1971, le Grand Prix littéraire de l'Afrique
noire. Pourtant, malgré ce succès, il abandonne la nouvelle pour se consacrer au
roman. Il publie alors coup sur coup deux romans aux éditions CLE à Yaoundé
(La nouvelle romance et Sans tam-tam), dans lesquels il
fustige le tribalisme, le népotisme en politique et plaide en faveur d'une
réelle émancipation de la femme africaine. Ce combat pour les femmes reviendra
dans son œuvre comme une sorte de leitmotiv.
En 1980, Henri Lopes quitte le gouvernement pour embrasser une
carrière internationale avec un poste de très haut fonctionnaire à l'Unesco
(1981-1997). Ses lourdes fonctions ne l'empêchent pas d'écrire. C'est ainsi
qu'il publie, en 1982, chez Présence Africaine, cet ouvrage qui sera un
best-seller. Le Pleurer-rire inaugure donc le second versant de l'œuvre
qui se complexifie tout de même avec un traitement quelque peu singulier du
miroir. De l'autobiographie, le lecteur ne trouve d'ailleurs que des bribes
anti-biographiques, plus propices à brouiller le miroir qu'à sanctifier un
quelconque Narcisse. Le chercheur d'Afriques (1989) rapportera ainsi, à
son auteur, un second Grand Prix littéraire de l'Afrique noire ! Mais aucun de
ses quatre romans publiés au Seuil n'aura le succès du Pleurer-rire.
Rappelons par ailleurs, que Henri Lopes a obtenu, en 1993, le Grand Prix de la
Francophonie, décerné par l'Académie française, pour l'ensemble de son œuvre.
Ceux qui connaissent le diplomate savent qu'Henri Lopes est
ambassadeur du Congo à Paris depuis 1998. Il dirige également la revue
Géopolitique Africaine, dont il est l'éditorialiste attitré. Une
enfant de Poto-Poto est son huitième roman.
Par Jrang An@go.
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